
En octobre 2015, deux avions m’ont emmenée à Bali. C’était mon premier voyage en solitaire. Officiellement, je partais donner des cours d’anglais à de jeunes enfants – j’ai parlé de mon expérience dans plusieurs articles à l’époque, dans celui-ci notamment – ils sont probablement un peu désuets aujourd’hui et je n’y ai pas évoqué le véritable motif de mon départ. Je fuyais un homme violent avec qui j’étais en couple depuis neuf ans. À l’époque je n’en avais pas conscience, je me racontais une autre histoire : je voulais aider. C’était vrai mais ce qui l’était aussi, c’est qu’il me fallait un prétexte acceptable car il m’aurait interdit de faire du tourisme sans lui.
J’ai fait du volontourisme sans le savoir
Il m’arrive encore de me demander à quoi ressemblerait ma vie aujourd’hui s’il n’y avait jamais eu 15 000 kilomètres et six heures de décalage horaire pour lui échapper ? Sans ce voyage, est-ce que j’aurais fini par avoir le courage de le quitter, après maintes tentatives infructueuses ? Est-ce qu’il y aurait eu un jour cette phrase comme un couperet : cette fois c’est vraiment la bonne, c’est terminé.
Bali m’a offert un espace où me retrouver, seule, en sécurité.
Trois semaines de répit qui m’ont permis d’apprécier ma propre compagnie, loin des crises de jalousie. 23 jours pour réaliser que malgré des ailes cabossées, je pouvais m’envoler vers l’inconnu, au propre comme au figuré. Le laisser au bord de l’abîme qu’il avait creusé en moi plutôt que de m’y précipiter. C’est la raison pour laquelle je ne peux pas regretter d’avoir fait du volontourisme. Si c’était à refaire, je le referais mais je ne le referai pas exactement pareil.

C’est quoi le volontourisme ?
J’ai découvert le terme à mon retour. Je suis partie en versant 680 € à un organisme, ignorant que l’on ne paye pas pour faire du volontariat. Deux brefs entretiens téléphoniques m’ont permis d’être acceptée, sans avoir à fournir de CV et attester de mon niveau d’anglais. Sur place, nous n’avons pas eu de formation. ll y avait peu d’encadrement et de suivi pédagogique entre les volontaires. J’ai vite compris que je n’allais rien apporter à ces enfants. Le programme du séjour n’était pas pensé dans l’intérêt de la population locale mais dans celui des volontaires, cibles marketing d’organisations à but lucratif. C’est ça le volontourisme et les conséquences sont réelles.
Les institutions locales peuvent s’appuyer sur ces organismes privés plutôt que financer elles-mêmes la formation et le recrutement de professeurs sur place.
Pourquoi rémunérer du personnel enseignant quand des volontaires sont prêts à payer pour enseigner ? Pire, dans certains pays on crée artificiellement des besoins. Au Cambodge, le nombre d’orphelinats a augmenté de 60 % entre 2005 et 2015 et 80 % des enfants placés ne sont pas orphelins. Ils sont retirés à leurs parents contre de l’argent et la promesse d’une bonne éducation, pour faire tourner le business du tourisme humanitaire. Des recherches ont montré que ces enfants peuvent présenter des troubles de l’attachement et un retard de développement intellectuel.
Source : France Volontaires qui souligne “sans le vouloir, le volontourisme […] encourage la corruption, le mauvais traitement des enfants, voire la traite d’enfants.”

S’engager différemment
Avec le recul, je regrette d’avoir choisi de m’engager auprès d’enfants. Il aurait été préférable de donner de mon temps à des projets environnementaux bien qu’ils ne soient pas exempts de critiques. On peut aussi déplorer cette envie des occidentaux d’aller “sauver” les populations non-blanches, loin de chez eux, de préférence dans un bel endroit comme Bali. Le fameux syndrome du white savior. J’en ai conscience aujourd’hui mais je ne peux pas jeter la pierre à celle que j’étais il y a 10 ans. Elle a fait de son mieux.
Si on a du temps à mettre au service des autres, s’engager à l’échelle locale est plus utile.
Néanmoins, ça me paraît difficile de reprocher, aux jeunes personnes notamment, de souhaiter combiner voyage et bénévolat. Dans ce cas, il faut privilégier des organismes à but non lucratif qui collaborent avec des institutions locales, en s’assurant que la mission répond à un vrai besoin. Et vous l’aurez compris, de façon générale, éviter de travailler avec des enfants, dans l’éducation et le soin quand on n’a pas été formé pour. C’est un métier.
France Volontaires, organisme sous la tutelle du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, propose des missions qui s’articulent autour de différentes thématiques – pour ne citer qu’eux. Sinon, on peut simplement vouloir voyager et réfléchir à des façons de le faire plus respectueuses des êtres humains et l’environnement.
Parfois, on a juste besoin de partir, seul·e.